Poufstar
La naissance[modifier | modifier le wikicode]
Elle est née en gonflant.
Avant de naître, elle se tortille se débat et étouffe dans une prison rectangulaire.
Les points formant les jalons de son espace lui font comme une chrysalide. son enveloppe est rigide, anguleuse, droite, sévère, austère, autoritaire et sans âme.
Corsetée dans des angles, elle étouffe, elle veut se libérer, sortir de ses carcans et prendre toute la place, se dilater et tendre sa peau au maximum jusqu'à ce que la lumière s'y reflète.
Elle voudrait liquéfier ces frontières, fluidifier les parois glacées qui l'enferment.
Elle voudrait inspirer à l'infini, gonfler chaque alvéole de ses poumons, réclamer tout cet air, tout cet oxygène qui lui est refusé mais qu'elle ne pourrait de toutes façons contenir dans son corps-prison tel qu'il est maintenant. Elle pourrait se gonfler jusqu'à éclater, se gonfler d'un gaz léger pour s'envoler et disparaitre ou d'un gaz lourd pour enfler et recouvrir le sol de la pièce et de la terre entière.
Elle pourrait aussi manger. Manger, se goinfrer, s'empiffrer et gonfler. Elle pourrait manger tout ce dont elle rêve, des beignets, des flans, des éclairs, des pâtisseries sucrées succulentes qui la rendent si heureuse.
Se régaler, manger, manger, grossir, prendre du poids, prendre de la place, prendre du sens, prendre de la valeur, devenir dense. Manger, dévorer, engloutir, dévorer son corset, sa prison, ses barreaux, ses verrous ses geôliers. Les dévorer, les engloutir, les faire disparaître dans son corps gigantesque, écraser ceux qui veulent la cloitrer, se délecter des barrières, des murs, des pierres, des angles, des lignes droites, des parois rigides des murs...
Elle est si pleine et si forte, elle est infinie, joyeuse et lumineuse. Elle embrasse toutes les joies, les peines, les émotions, les sensation, les corps, les âmes et les êtres. Elle ne peut contenir cette masse vivante et puissante dans une cellule rectangulaire, dans une boîte, dans un cercueil. Elle veut vibrer, onduler, respirer et manger.
Alors elle inspire, elle aspire, elle absorbe toute les énergies positives et négatives, la force de ses alliés, la haine de ses détracteurs, elle avale tout, absorbe tout et elle enfle, enfle, jusqu'à fissurer les carcans, elle brise les injonctions, sa prison vole en mille éclats brillants elle s’étend à la vitesse de l'univers, prend enfin sa respiration rêvée, se nourrit enfin de tout ce qu'elle aime. Elle installe ses formes confortablement dans ce monde qu'elle recrée de son corps, elle devient courbe, ronde, molle, immense, voluptueuse.
Elle dévore et respire, elle vit. les éclats de sa prison l'entourent comme une galaxie. Les chaines de points qui la contraignaient se ramollissent, se distendent, mais se retendent de plaisir en contreformes étoilées. Les espaces creux de son corps se plient en sourires et se plissent en paillettes et en éclats de rire. Elle rie, brille, scintille, la lumière l'inonde, elle se sent réchauffée et heureuse.
Gonflée de plaisir, Poufstar écrit dans le ciel et sur terre les mots qui lui font du bien, les mots interdits, les phrases scandées pour la liberté, les cris pour la justice, les exclamations de rage, de tristesse de fureur mais aussi de joie de bonheur de soulagement et de plaisir.
On peut se lover dans son cœur moelleux, lui faire confiance et se reposer sur sa douceur, l'appeler à l'aide et s'allonger avec elle pour se réparer, prendre soin de soi, partager... elle veut être vue et être lue.
Car Poufstar est une police de caractères.
Contexte de création[modifier | modifier le wikicode]
Poufstar est une police de caractères dessinée avec amour par Alice Strub (moi) pour son projet de DNSEP en design graphique multimédia à l'ÉSAD Pyrénées en 2021 : la Biblibératrice.
Poufstar est née sous sa forme primitive en novembre 2020 pour le projet des vœux de bonne année de l’Institut Occitan. La composition de la carte était faite de grosses lettres boudinées, comme écrasées les unes contre les autres pour écrire « bona annada 2021 ! ». Ce dessin de lettres a été utilisé comme base pour un workshop avec Jack Usine autour des fontes variables. Il a une pratique plutôt engagée du design graphique et du lettrage et n’hésite pas a s’amuser en expérimentations typographiques avec des messages anti-autoritaires et c’est ce qui m’a poussée à revendiquer ce dessin.
Le premier « master » de de la fonte variable est un caractère moderniste à futs très droits et sans contrastes qui se met à enfler, s’arrondir en dessinant des contreformes pointues, comme pour figurer ce besoin de prendre la parole, de prendre la place, d’affirmer un corps, des formes mais aussi une culture, une esthétique « girly » englobant les formes arrondies, plus douces et des étoiles. Je souhaite revendiquer ces stéréotypes et cette culture aliénante, en faire une force, une voix dans la société au delà de l’espace du foyer, de l’intime et de l’enfance et s'opposer aux diktats de la typographie moderniste et paternaliste.
C’est pour sensiblement les même raisons que j'utilise presque à outrance la couleur rose dans mes projets.
Vous avez dit pouf ?[modifier | modifier le wikicode]
Pour la Biblibératrice, le salon de lecture féministe, je voulais conférer une atmosphère très accueillante, convoquer le salon, un coin douillet et confortable. J’ai donc passé commande à ma propre mère, couturière et costumière reconvertie depuis quelques années, également pour mettre en valeur cette discipline à la frontière floue entre art et artisanat, qui est complexe et riche, mais qui reste encore très dénigré dans notre société — il suffit de voir le nombre de femmes qui ont donné leur temps, leur énergie et leur matériel pour confectionner masque et blouses GRATUITEMENT pendant la crise du covid.
Nous avons donc travaillé ensemble pour confectionner des coussins (1 par lettre de l'alphabet) et des poufs (les lettres B, O et N) à l’image de la Poufstar. Je voulais donner envie de s’installer tellement confortablement dans lecture qu’on irait jusqu’à se lover dans les lettres des mots. Nous avons donc un spécimen de ma fonte sous la forme de coussins dodus, utilisant seulement du tissu de récupération, donné à ma mère par ma grand-mère, ou d’autres parentes ou amies, comme si de multiples voix de femmes venaient résonner dans ces lettres.